Je suis rentrée tard, hier soir, j'ai pris le
Je suis rentrée tard, hier soir, j'ai pris le dernier métro. Le vent de la nuit m'a dissuadée de marcher dans le froid, je suis encore convalescente. Ma saison préférée n'est pas l'hiver, pourtant les temps qui changent, passant du soleil à la grisaille, de la canicule aux brumes blanches, nous poussent à la froidure. Elles sont bien loin les folies d'Avril enchanteur et les douceurs de septembre. Je déteste prendre le métro toute seule le soir. Je marche vite, raide, la tête haute, évitant de regarder les gens, certains n'attendant qu'un prétexte pour chercher noise. Ça n'a pas manqué, on a eu droit à une espèce de mec déjanté, déclamant un conte de Noël. Il était question de cadeaux pourris pour des enfants méchants, une déambulation sombre et sanglante dans une nurserie, où les prédateurs de bébés étaient déguisés en Père Noël. Nous étions huit femmes dans la rame de métro, une fille très fardée, Belle de jour ou de nuit, va savoir. Elle tapait sur son téléphone sans s'inquiéter des vociférations du sauvage, la jupe courte plissait haut sur ses jambes gainées de noir. Une autre femme, mal attifée, genre potiche, était, elle, prostrée derrière un siège, elle me regardait avec des yeux craintifs, mais je déjouais son regard, n'ayant que peu de réconfort à lui offrir. Deux autres femmes étaient en grande conversation, elles jetaient parfois un coup d'oeil au bonhomme, avec une moue de répulsion. Le ton haut de leur discours attirait l'attention. J'ai vite compris que Tristana, la plus jeune, se disputait avec sa Belle Maman, style la grande bourgeoise à la voix perchée, au sujet de Jules, le héros de la famille. Le héros de la maman. Tristana était en colère que sa belle-mère justifie le départ de Jules en Indochine, qui décidait à son bon plaisir de l'abandonner ici seule avec les enfants. Belle Maman arguait fièrement qu'il fallait laisser sa liberté à un homme qui voulait vivre sa vie. A côté des deux jacassantes, un groupe de trois nanas qui sortaient vraisemblablement du restaurant s'amusait de la scène surréaliste. L'une d'elles, la femme aux bottes rouges, se moquait ouvertement du gars bizarre, et je redoutais qu'il s'en aperçoive. Les histoires lamentables, où l'on se retrouve au mauvais endroit au mauvais moment, on a toujours l'impression que ça n'arrive qu'aux autres. Et on se reçoit un coup sans raison. J'espérais que nous arrivions vite à destination. Et à l'arrêt suivant, par chance, un flic est monté dans notre voiture, la fille fardée s'est redressée et a tiré sur sa jupe, la potiche a retrouvé le sourire, toutes les autres se sont tues. Seul le foufou a continué son délire verbal dans un silence pesant. Il s'en foutait de la maréchaussée, le compagnon des âmes perdues. Le flic est allé lui taper sur l'épaule, eh Jeannot, lui a-t-il dit, qu'est-ce que tu fais là, Maman m'a dit que tu étais à l'hosto. Allez viens, on rentre.
Drôle d'endroit pour une rencontre, ai-je pensé. Peut-être est-ce son frère, oui, pourquoi pas, les frangins, un dingo et un poulet, ça ferait un bon titre de film.