Version n° 2 : Merde, iféchié ! j’ai pas envie
Merde, iféchié ! j’ai pas envie d’attendre dans sa salle d’attente, si je me pointe juste après qu’il a commencé sa consult, je suis bonne pour 20 mn à poireauter… Après tout, cette veste noire, j’m’en fous, je l’ai achetée à Auchan, marque Auchan. Ça vaut rien ! Enfin, ça vaut d’avoir une veste noire quand on a besoin d’une veste noire, si je me souviens bien, c’est la raison pour laquelle je l’avais achetée ! Mais est-ce que ça vaut le coup d’attendre dans cette foutue salle d’attente alors que justement je lui ai dit que je ne voulais plus venir. Non, c’est décidé, j’y vais pas.
J’ai pas envie de faire un détour par la maison pour poser la couette, et j’ai pas envie d’y aller avec ma couette, je sais pas, je trouve ça trop vie quotidienne, et j’ai pas envie de lui montrer que je suis vie quotidienne. Déjà, oublier sa veste, c’est dans ce registre terre à terre merdique. Un psy, une entité psy, ça touche le domaine métaphysique, méta, au-delà, qui dépasse le physique… Psychologie, psychanalyse, psychiatrie, ce qui traite de l’activité mentale et des spéculations intellectuelles, qui analyse les réalités transcendantes et les rouages de l’âme, qui va gratter dans les idées, les sentiments, qui recherche la profondeur philosophique et intuitive de l’être, rien qui ne suggère l’ombre d’une couette, rien qui puisse présager de l’existence d’une veste noire. C’est pour ça que je veux plus aller le voir, je me sens trop bouffée par le quotidien, ça ne me plait pas, je n’arrive plus à m’élever suffisamment pour m’interroger sur mon être sublime ! Enfin, oui, quoi, sublime !
La question est de savoir si abandonner sa veste noire utile les soirs de fraîcheur est favorable à une élévation de l’esprit ?
Autant dire que mes pensées clapotent miteusement dans la morne écume du raisonnement foireux, et que, toujours ma couette sous le bras, j’en profite pour aller faire des courses de bouffe à la con, au Leader Price voisin où me poussent la désespérante clairvoyance économique de mes finances et un mesquin bon d’achat de 6 € pour 40 € d’achat !!!!! (quand même !).
Quand j’en ressors, de plus en plus rubiconde et froissée, je suis encombrée de mon sac de couette côté gauche, plus un sac d’une tonne de litière (pour chat, voir précédent) et à droite, un sac rempli de courses, plus un paquet de Sopalain coincé sous le coude, mes deux bras pendent à craquer, et je tais ma démarche déhanchée du fait du déséquilibre des charges ! Je m’apprête à traverser la rue, mes yeux fixés droit devant pour soutenir l’effort, mon regard se posant sur l’immeuble de mon Dr S, sa fenêtre au premier étage, non il ne dénouerait pas les fils qui me font nœud, mes secrets, les souvenirs dont je suis pétrie, les rêves qui me hantent, les angoisses qui noircissent mon pur esprit, tout ce magma, je me le garde bien enfoui….. mon regard s’accrochant sur l’homme qui sort de l’immeuble, bel homme au demeurant, mèche décoiffée frangeant le front, allure énergique, mon regard dérivant sur ses yeux gris brillants et souriants, il me regarde, tiens, il me parle, tiens, merde, - pardon, oui, bien sûr, nooooooon, c’est lui, - ah me dit-il vous veniez ? j’allais partir, désolé, ne bougez pas, je remonte, - j’y crois pas, il remonte, je ne bouge pas, figée, - oui, c’est ma veste, oui, merci, euh, merci, au revoir, vraiment…..
Le voila reparti, toujours l’allure vive, il est grand, je vois sa fine silhouette qui ondule au loin sur le trottoir d’en face, j’ai lâché tous mes paquets, j’ai les mains qui tremblent, bien sûr à cause du poids qui a tendu mes muscles, je ne sais plus où j’en suis de mes réflexions sur la nature éthérée de mon âme et l’insatisfaction que j’en ai, je détourne la tête et reprends mes colis, qu’est-ce que j’ai mal dans les bras !
Arrivée à la maison, j’ai beau chercher dans tous mes sacs, je ne trouve pas ma veste noire, j’ai dû la faire tomber en chemin, mais, non, je ne reviendrai pas sur mes pas, je suis vidée ! Tant pis !